third
Mai 2018

Numéro Zéro

Retrouvez le numéro zéro de Third : La plateforme, clé de voûte de la révolution numérique.

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Third | Mai 2018

Le travail indépendant : la révolution du travail face aux tribunaux

Parler d’économie numérique et de droit du travail n’est assurément pas de tout repos, tant ces deux sujets attirent l’attention du public et des débats d’opinion.

 

Les entreprises opérant des plateformes numériques qui mettent en relation des utilisateurs avec des travailleurs indépendants doivent prendre en considération les risques liés à la  qualification des contrats commerciaux en contrat de travail mais également tenir compte du droit pénal du travail.

 

Les contraintes résultant de ce corpus juridique ont un impact direct sur la structuration juridique des modèles économiques des plateformes de mise en relation dans le secteur numérique.

L’article L. 8221-6 1° et 4° du Code du Travail instaure une présomption de non salariat pour les personnes enregistrées au registre du commerce et des sociétés comme les auto-entrepreneurs. Cependant, cette présomption est simple puisque « l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque [la personne fournit] une prestation à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ».

Il est constant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties (ex : une clause reconnaissant l’absence d’application du droit du travail) ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention (ex : une convention de partenariat peut être requalifiée en contrat de travail). Pour établir l’existence du salariat, le demandeur doit seulement démontrer un lien de subordination en réunissant des preuves (le juge utilise alors la technique du « faisceau d’indices » pour vérifier si les libertés de l’indépendant ont été respectées).

Les modèles économiques se développent et des décisions de justice sont rendues concernant les demandes de requalification initiées par des travailleurs indépendants contre des plateformes. Si ces décisions n’ont pas de portée générale (l’autorité de chose jugée est relative, ce qui signifie qu’une décision ne vaut qu’à l’égard des parties en cause dans la procédure et pour l’objet du litige), elles donnent des clés de lecture intéressantes pour interpréter les règles applicables.

Take Eat Easy (octobre 2017)
La demande de requalification a été rejetée par la Cour d’appel de Paris car le livreur n’est pas parvenu à apporter la preuve de circonstances le plaçant dans un lien de subordination juridique permanent.

Deliveroo (novembre 2017)
La Cour d’appel de Paris insiste sur le fait que le demandeur n’est pas parvenu à « renverser la présomption de non-salariat » qui existent pour les travailleurs indépendant et rejette sa demande car les éléments du dossier ne permettaient pas de documenter l’existence du lien de subordination invoqué.

Le Cab (décembre 2017)
Dans deux arrêts de la Cour d’appel de Paris, les demandes de deux chauffeurs ont été accueillies en raison des éléments propres à l’espèce qui révélaient que la collaboration des parties s’inscrivait dans le cadre d’une relation de travail subordonnée qui était caractérisée par une prestation de travail réalisée sous l’autorité de la société (elle pouvait donner des ordres, des directives et sanctionner les éventuels manquements).

Uber (janvier 2018)
Sur le fondement des pièces versées aux débats, le Conseil de Prud’hommes de Paris a jugé que le contrat liant Uber à son chauffeur n’était pas un contrat de travail mais un contrat commercial.

Ces décisions (dont la portée est limitée à ces dossiers) démontrent l’attention que les juges prêtent à la frontière entre travail indépendant et salariat mais également la difficulté d’obtenir la reconnaissance judiciaire d’un contrat de travail avec une plateforme numérique. En précisant les critères/indices ayant permis de prendre ces décisions, les juges (en particulier, la Cour d’appel de Paris) donnent des clés de lecture utiles pour renforcer les modèles des plateformes numériques et apporter de la sécurité juridique à toutes les parties prenantes.

Le travail indépendant est une constante de la nouvelle donne économique et le freelancing ne va que grandir en importance dans les prochaines années. Il nous semble donc vain et contreproductif d’espérer une société « 100% salariat ». Cependant, c’est le rôle et la responsabilité du juge d’assurer que les excès qui peuvent exister soient sanctionnés.

Nous considérons que les modèles de plateformes numériques devraient être encouragés car ils sont vertueux économiquement (de nouveaux marchés sont créés et des personnes trouvent une activité grâce à ces nouveaux canaux de distribution), qu’ils correspondent aux nouvelles aspirations des actifs et qu’ils sont plébiscités par les utilisateurs.

Le vrai chantier juridique ne réside pas dans la lutte contre ces modèles (dont l’essor est irrésistible) mais dans la construction d’un régime de protection sociale adapté pour le travail indépendant.

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