third
Mai 2019

Numéro Deux

Retrouvez le numéro deux de Third : À la recherche de la Smart City

Third | Mai 2019

« La véritable ville intelligente est celle qui s’adapte grâce au savoir-faire humain et à la technologie »

Entretien avec Stéphane Bloquet, Chief Operating Officer de SeetyZen.

 

Third (T) : Depuis plusieurs années, la notion de ville intelligente (Smart City) s’est imposée pour parler de la ville de demain. Que mettez-vous derrière cette notion ?

Stéphane Bloquet (SB) : C’est vrai, Smart City est une expression à la mode. On met beaucoup de choses dans ce concept, ce qui en fait un terme assez galvaudé et que, parfois, on s’y perd. En tant qu’entrepreneur, l’absence de définition unique conduit à des difficultés pour appréhender la taille et les caractéristiques du marché sur lequel on opère. Si je devais affiner mon propos, je dirais qu’il y a autant de Smart City que de villes. En effet, chaque ensemble urbain fait face à ses problématiques et besoins, de sorte qu’il cherchera des solutions qui lui seront propres.

Cependant, des thématiques communes sont identifiables car les villes modernes ont toutes des similitudes. De mon point de vue, le principal défi des villes concerne la gestion de l’afflux de population. Au début du XIXème siècle, environ 30% de la population mondiale vivait dans les villes tandis que cette proportion est aujourd’hui de 50 % et qu’elle pourrait atteindre près de 70% en 2050. Les implications de tels chiffres sont énormes car cela implique de gérer l’énergie nécessaire à l’alimentation de ces villes, d’assurer une attractivité des territoires mais également de tenir compte des contraintes environnementales. De plus, l’expansion des villes conduit à s’interroger sur les inégalités au sein d’une même ville, que ce soit d’un point de vue de pollution, d’accès aux services (publics et privés) mais également d’accès aux réseaux de transport.

Tout l’enjeu de la ville intelligente (Smart City) réside par conséquent dans l’appréhension de ces enjeux multiples. Ce que souligne ce terme, c’est l’objectif d’améliorer la performance globale de la ville et d’assurer sa durabilité, ce qui impose d’allier l’humain, les infrastructures et la technologie.

T : Les villes de demain devraient-elles être nécessairement technologiques et connectées ?

SB : Peut-être pas, mais je dirais que l’efficacité, telle que nous la concevons actuellement, passe nécessairement par la technologie. Ce qui compte, c’est l’accès à l’information et la collecte de données : plus on a d’informations, plus on dispose d’une capacité d’action. En revanche, la technologie n’est pas une fin en soi : il ne sert à rien d’être connecté pour être connecté. Le facteur décisif est l’utilisation que l’on fait des données que la technologie nous permet d’obtenir. Il s’agit d’un instrument qui permet aux individus de prendre des décisions, il ne faut pas que la technologie remplace l’intelligence humaine.

De plus, il faut garder à l’esprit qu’une ville connectée et fondée sur la technologie consomme beaucoup d’énergie. Cette contrainte doit être intégrée dans la conception, le développement et la gouvernance des villes pour assurer leur pérennité.

De mon point de vue, il est impératif de mobiliser toutes nos ressources pour décupler et améliorer l’efficience des villes à tous les niveaux.

T : Lorsque l’on parle de ville intelligente (Smart City), on pense souvent à des mégalopoles complexes. Est-ce que ce type de ville moderne va nécessairement de pair avec une meilleure qualité de vie ?

SB : À mon sens, la Smart City n’a rien à voir avec la taille mais avec les objectifs qui sont poursuivis. Comme je le disais, chaque ville a une situation qui lui est propre, ce qui engendre les difficultés (ex : gérer une zone sismique active) mais façonne aussi les solutions (ex : tirer profit du soleil d’une ville située dans le désert). La véritable ville intelligente est celle qui s’adapte grâce au savoir-faire humain et à la technologie. Il n’y a pas une seule Smart City et il faut être ouvert à une diversité de fonctionnements.

En ce qui concerne le bien-être et la qualité de vie, je considère que c’est le premier objectif de la Smart City. On conçoit aisément que chercher à construire une ville plus efficiente vise à s’assurer que la vie sera meilleure, et non la dégrader. En pratique, c’est la même chose puisque les élus qui gouvernent les villes ont pour but de satisfaire leurs administrés pour être élus, ce qui passe par l’amélioration de la qualité de vie. Derrière un idéal commun, la Smart City est en réalité la poursuite de considérations assez individualistes (je veux que mes déplacements soient facilités, que mon quartier soit sûr, que les services publics me soient accessibles…).

Et à nouveau, on retombe sur la question de l’échelle pertinente pour la ville intelligente puisque ce qui compte, c’est l’impact réel sur le quotidien et de le rendre visible à la population. Il est parfois plus facile d’améliorer l’expérience du citoyen et de mesurer l’efficacité de l’argent public dans des villes de petite ou moyenne taille. Enfin, la communication au grand public ne doit pas être négligée puisqu’il est aussi important de vivre dans une ville performante que d’avoir l’impression de vivre dans une ville performante.

T : L’imaginaire commun déshumanisant les nouvelles technologies ainsi que certains efforts environnementaux parfois mal perçus par la population (en réaction aux aménagements de la voirie aux cyclistes engendrant des embouteillages par exemple) n’ont-ils pas un effet contraire à l’objectif de satisfaction des citoyens urbains ?

SB : Il est vrai que tout changement est facteur de tensions, mais on peut l’accepter en considération de la vision de long terme. L’important est d’éviter les écueils de changements et d’une écologie de façade pour se focaliser sur la mise en œuvre de solutions efficaces, ainsi que de faire de la pédagogie pour que les mutations entamées soient comprises. Pour ce faire, le point de départ, c’est le citoyen.

Une ville, c’est comme une entreprise : elle doit être au contact de ses habitants tout comme l’entreprise doit être proche de ses clients. Il faut comprendre la ville pour être en mesure de prendre des décisions. C’est en intégrant le digital dans le projet de ville que les nouvelles technologiques peuvent contribuer à relever les défis rencontrés par la zone urbaine.

La connectivité est un atout indéniable, qui va permettre, notamment avec des capteurs, de rendre compte de l’état d’une ville à de nombreux niveaux grâce à des données. Pour prendre un exemple concret, si la ville de demain ne procède pas au comptage du trafic, comment pourra-t-elle identifier le comportement des flux de la circulation, et prendre les décisions adéquates ? Je ne pense pas que la technologie va déshumaniser la ville car c’est un outil au service des hommes.

T : Votre société (SeetyZen) fabrique des capteurs ayant vocation à être installés en ville pour mesurer des éléments invisibles (notamment le bruit, la pollution, les ondes ou les incidents) et fournir un indice de bien-être : comment votre vision d’entrepreneur s’intègre-t-elle dans la ville de demain ?

SB : La principale difficulté pour nous, entreprises privées, est la multiplication des interlocuteurs publics et la difficulté d’identifier les décisionnaires. Les villes sont organisées en départements étanches et on observe parfois un manque d’unification entre les différents services qui nous empêche de réunir toutes les parties prenantes afin de réfléchir à des solutions transversales. Il faudrait une gestion centralisée des enjeux, unifier la réglementation locale et rationnaliser l’organisation de la ville pour permettre une prise de décision optimale.

Néanmoins, nous inscrivons notre démarche dans une logique parallèle à celle des élus. Notre technologie permet en effet d’établir l’indice de bien-être d’une zone pour mesurer, à l’aide de capteurs multi-paramètres stratégiquement placés, la qualité de l’air, le niveau sonore ou encore l’exposition aux ondes électro-magnétiques. Pour être très concret, nous souhaitons que l’indice devienne un critère à part entière lors d’un déménagement ou de la fixation du prix d’un appartement.

Notre ambition est de donner à toute personne la possibilité de faire des choix basés sur des critères environnementaux concrets et objectifs, lesquels peuvent avoir un impact réel sur son quotidien et sa santé. Nous travaillons par exemple avec des écoles privées en Asie qui ont perçu l’avantage compétitif qui pouvait provenir d’un bon indice « bien-être ». La mesure de ce bien-être ouvre donc des perspectives intéressantes pour tout individu mais également pour les collectivités publiques qui pourront affiner leurs stratégies territoriales (en particulier, dans l’organisation de l’espace).

T : Quelles sont les clés de la réussite d’un projet comme SeetyZen et sont-elles alignées avec celles des autres acteurs de la ville intelligente (Smart City) ?

SB : Notre entreprise repose sur deux choses : le hardware (c’est- à-dire les capteurs) et l’indice (c’est-à-dire la technologie qui permet de rendre compte de la réalité sensorielle). La première est l’image physique de SeetyZen mais la clé du succès réside dans la seconde : nous ambitionnons de devenir l’indice de référence pour la qualité d’une zone urbaine, ce qui implique d’avoir des données nombreuses et fiables mais également que l’algorithme qui les traite soit le plus performant possible.

Vous l’aurez compris, notre service ne fonctionne que si des données sont collectées en nombre suffisant et si elles permettent de retranscrire la réalité sensorielle de manière fidèle, ce qui implique une certaine représentativité. Pour atteindre notre objectif, nous allions plusieurs stratégies : l’acquisition de données par nos propres capteurs, l’open data et les partenariats (notamment avec les villes). L’ouverture des données est le point central qui permettra de déployer de nouveaux services dans la ville de demain (que ce soit pour la qualité de vie ou pour les transports par exemple).

Il faut favoriser les logiques de coopération pour éviter que des entreprises privées dominent la gestion de l’urbanisme des villes. On peut citer par exemple la démarche de Sidewalk Labs, le département d’innovation urbaine d’Alphabet (ie. Google), qui a proposé sa vision d’un quartier intelligent à Toronto mais qui suscite la crainte d’une surveillance généralisée. En effet, si aujourd’hui les pouvoirs publics peuvent justifier une certaine intrusion dans la vie privée au nom de l’amélioration du bien-être, cela sera-t-il toujours le cas demain ?

C’est la raison pour laquelle nous croyons aux logiques de partenariat et de partage de données, y compris les nôtres si les conditions sont réunies.

L’œil de la revue Third

Le point de vue offert par Stéphane Bloquet est celui de l’entrepreneur, sans lequel il aurait été impossible d’évoquer les évolutions des zones urbaines et les potentialités d’une Smart City. On découvre les problématiques de la construction de la ville de demain, perçues sous le prisme de celui qui souhaite participer à l’amélioration globale de la qualité de vie en ville tout en développant une activité économique profitable.

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