third
Mai 2019

Numéro Deux

Retrouvez le numéro deux de Third : À la recherche de la Smart City

Third | Mai 2019

Mobility as a Service (MaaS) : à la recherche du mouvement perpétuel dans la ville de demain

Joël Hazan, Nikolaus Lang et Hind El Abassi Chraibi, Boston Consulting Group.

 

Le MaaS est au cœur de toutes les discussions sur la mobilité urbaine.

 

Les entreprises privées se ruent pour se positionner sur le créneau, les villes souhaitent l’expérimenter et les voyageurs sont à la recherche de solutions de mobilité toujours plus intégrées. Un certain nombre de conditions sont toutefois indispensables pour assurer sa bonne mise en place.

 

Les voyageurs sont en recherche constante de nouvelles façons de se déplacer au sein de villes, en combinant modes de transport traditionnels et nouvelles mobilités : covoiturage, vélos et scooters en libre-service… Ils rêvent d’une mobilité intégrée et centralisée, permettant aux individus de se déplacer rapidement et simplement. Un voyageur devrait pouvoir, en un clic, grâce à une application mobile, réserver et payer un trajet incluant un véhicule autonome électrique partagé qui l’emmène jusqu’à un train s’arrêtant près de sa destination.

Cette offre de transport est appelée Mobility as a Service (MaaS). Le MaaS offre un mode de transport complet qui inclut à la fois les nouvelles offres de mobilité et les modes traditionnels, que sont les transports publics ou les taxis. Il repose sur une plateforme numérique qui prend en charge tous les aspects des déplacements des voyageurs, de la planification de trajets au paiement de titres de transport.

Le MaaS est plus que la nouvelle lubie numérique des acteurs privés : il facilite la mobilité et permet de générer d’importants bénéfices économiques, un impératif pour les villes d’aujourd’hui et de demain.

En route vers le MaaS

Les villes ont l’opportunité de se saisir de l’explosion des nouvelles offres de transport. Elles peuvent mettre en place les technologies, programmes et réglementations les plus bénéfiques pour les citoyens et les entreprises, et bénéficier de cette économie florissante. Pour y parvenir, il y a un besoin de coopération entre tous les acteurs de la mobilité, et la nécessité de trouver un consensus répondant aux besoins de tous1 . Les villes doivent orchestrer cette coopération en instaurant six principes : mesurer, capter la valeur, intégrer, inciter, réguler et expérimenter.

Assumer le rôle de chef d’orchestre du MaaS aidera les villes à optimiser les transports et à atteindre leurs objectifs dans trois domaines clés :

Économique, pour optimiser les investissements dans les infrastructures et encourager les transactions financières et, ainsi, la richesse d’une ville ;

Environnemental, pour atténuer la congestion et réduire l’utilisation des voitures personnelles, diminuant ainsi la pollution ;

Sociétal, pour rendre la mobilité urbaine plus inclusive, par une amélioration de l’accessibilité pour toutes les classes socioéconomiques.

Ainsi, le MaaS séduit les villes et certaines servent déjà de terrains d’essais. Les acteurs privés voient les avantages potentiels et un grand nombre d’entreprises se positionnent déjà sur le secteur. Les voyageurs sont également prêts à adopter le MaaS car ils emploient de manière croissante les nouveaux modes de transport et recherchent toujours plus d’efficacité dans leur manière de voyager.

L’accessibilité est un enjeu clé pour les villes. Nos recherches montrent que l’accessibilité peut varier de façon significative dans une ville ; les zones les plus pauvres de Paris sont à peu près deux fois moins accessibles que les plus riches.

Analyse approfondie du MaaS : progrès et défis

Nous distinguons quatre niveaux de fonctionnalité du MaaS. Chaque niveau augmente le degré de complexité, avec des acteurs du MaaS qui doivent élargir leurs compétences et capacités technologiques (données multi-opérateurs en temps réel, tarification et opérations). Si chaque niveau de MaaS crée de la valeur pour les voyageurs, les prestataires eux peinent à trouver le bon modèle économique. Chaque niveau de fonctionnalité appelle un modèle économique différent, qui a ses propres limites et obstacles.

Nous pensons que le MaaS de niveau 4 offre le maximum de valeur et est le seul à pouvoir être économiquement viable

Niveau 1 : planification. Les MaaS de niveau 1 coordonnent les différents modes de transport et personnalisent les itinéraires. Les plateformes offrent une planification gratuite des itinéraires pour les utilisateurs, et revendent les données récoltées aux annonceurs.

Toutefois, seuls les acteurs monopolistiques ayant des taux de pénétration élevés, comme Google et Tencent (qui serait en train d’examiner les différentes options de MaaS), peuvent se permettre un tel modèle économique.

Niveau 2 : planification + vente de billets. A ce niveau, les plateformes agrègent les offres de mobilité de différents opérateurs, revendent les billets aux voyageurs et facturent des commissions aux opérateurs.

Les plateformes de niveau 2 utilisent un modèle de type agence de voyage. Les revenus sont généralement tirés de commissions sur chaque voyage et accessoirement liés à la génération de nouveaux clients.

Ce modèle pose problème dans le secteur de la mobilité car les acteurs du transport opèrent déjà dans un contexte de marges faibles auxquelles il est compliqué d’imposer des commissions supplémentaires. De plus, les plateformes de voyages (par exemple Booking) peuvent imposer des commissions aux hôtels car ces derniers ont un fort besoin de visibilité, alors que les opérateurs de transport urbain ne ressentent pas cette pression. Le faible nombre d’opérateurs de transport au sein d’une ville réduit le pouvoir de négociation de cette dernière à néant.

Niveau 3 : planification + vente de billets + tarification. A ce niveau, les initiatives incorporent la tarification des opérateurs et la stratégie d’acquisition clients.

Les plateformes de niveau 3 agrègent les titres de transport uniques dans une solution de mobilité « tout inclus ». Elles utilisent diverses stratégies d’acquisition clients pour étendre leur base d’utilisateurs. C’est ce que Netflix et Spotify ont fait dans leurs industries respectives, en comprenant rapidement qu’il fallait contrôler les coûts unitaires pour avoir un modèle économique soutenable. Netflix a commencé à produire des contenus, et Spotify a calculé les montants des royalties à reverser en fonction de ses propres objectifs commerciaux.

Regrouper des solutions de mobilité aux coûts unitaires très différents n’est pas une équation facile. La tarification « tout inclus » motive les utilisateurs à choisir des modes de transport plus pratiques pour eux mais généralement plus coûteux à exploiter, comme les VTC et les services de taxi. Le modèle de niveau 3 est insoutenable sans mécanismes d’incitation pour encourager les utilisateurs à choisir les options de transport les moins chères (les transports publics, les vélos en libre-service, ou les déplacements en heures creuses).

Cela nous amène à la plateforme de niveau 4, incluant des mécanismes d’incitation pour les utilisateurs.

Niveau 4 : Intégration totale : Planification + Vente de billets + Tarification + Incitations. C’est au niveau 4 que les opérateurs vont réussir, avec un modèle économiquement viable et la version aboutie du MaaS décrite en introduction. Pour atteindre ce niveau, les acteurs du MaaS doivent mettre en place des mécanismes d’incitation pour encourager les voyageurs à utiliser des modes de transport économiques. Les acteurs du MaaS totalement intégrés incorporeront également les investissements, la planification, etc. Ils distribueront les subventions pour encourager les voyageurs à utiliser le MaaS, et créerons les incitations poussant à utiliser les offres de façon spécifique (i.e. voyager en heures creuses à prix réduit). C’est uniquement à ce niveau que les intérêts des autorités publiques rejoignent les besoins des acteurs privés.

Coopérer pour passer au niveau supérieur

Il est dans l’intérêt des villes, comme des opérateurs de MaaS, de mettre en place un MaaS de niveau 4 car c’est là que réside toute la valeur. Actuellement, de nombreuses initiatives de MaaS sont testées dans de grandes villes, mais elles en sont encore au stade embryonnaire. Whim, basée à Helsinki, est l’une des rares plateformes de niveau 3 et est considérée comme la référence internationale du MaaS. Les utilisateurs peuvent s’abonner à un forfait de mobilité mensuel illimité qui leur donne accès à tous les modes de transport de Helsinki et ses environs. Citymapper a annoncé en début d’année le lancement de la deuxième plateforme de MaaS de niveau 3, avec pour objectif la construction de solutions multimodales individualisées. Pour l’instant, Citymapper finance les incitations financières offertes aux voyageurs utilisant les transports publics. Une collaboration étroite avec Transport for London et des négociations avec d’autres acteurs privés seront essentielles pour que Citymapper concrétise son ambition et devienne rentable.

Afin de devenir économiquement viable, les opérateurs de MaaS ne peuvent compter que sur les villes. Ces dernières sont les seules à pouvoir mettre en place les éléments nécessaires tels que la centralisation des sub- ventions aux transports, les taxes sur les véhicules personnels ou la mise en place de mécanismes d’incitation.

Nul ne sait quelles plateformes et quels acteurs parviendront à atteindre le niveau 4 du MaaS. Ce qui est certain c’est qu’il faudra que les opérateurs de MaaS et les villes coopèrent étroitement car leur réussite est interdépendante. Le MaaS doit être abordée dans le cadre d’une solution impliquant la totalité de la chaîne de valeur de la mobilité, des infrastructures aux plateformes numériques, des autorités publiques aux acteurs privés. Les villes qui réussiront seront des activistes de la mobilité qui auront compris qu’il faut favoriser l’innovation. Elles s’impliqueront étroitement auprès des acteurs privés en accomplissant leur rôle d’orchestrateur du MaaS en appliquant les six principes :

Mesurer. Les villes doivent mettre en place des indicateurs clés de performance ou ICP (niveau de congestion, temps de transport moyen des voyageurs…) et définir des objectifs s’appuyant sur ces ICP pour évaluer l’impact du MaaS.

Capter la valeur. Les villes doivent investir massivement dans le MaaS et cet investissement peut provenir d’une meilleure allocation des subventions du transport ou de nouvelles taxes intelligentes sur le véhicule personnel.

Intégrer. Cette action est inhérente au MaaS – c’est aux villes de rassembler le réseau d’acteurs publics et privés pour créer le réseau de coopération nécessaire au bon fonctionnement du MaaS.

Inciter. Les villes doivent inciter les acteurs de la mobilité et les voyageurs avec une redistribution des subventions qui financera des baisses de prix.

Réguler. Les villes doivent mandater un acteur unique de MaaS, pour simplifier l’expérience des utilisateurs et centraliser le contrôle sur le système d’incitations.

Expérimenter.Dans un domaine embryonnaire comme le MaaS, l’expérimentation est cruciale. Les villes doivent trouver le bon équilibre entre règlementation et soutien de l’innovation.

Concrètement, les villes doivent établir un modèle opérationnel de collaboration entre toutes les parties prenantes. L’approche consiste à : (i) faire le lien entre les objectifs économiques, environnementaux et sociétaux d’une ville avec les politiques qu’elle mettra en place pour les acteurs privés, et les résultats qu’elle attendra de ces derniers ; (ii) réinventer des modèles de collaboration public-privé (i.e. signature d’un contrat d’exclusivité entre la ville et un acteur de la tech qui précisera les besoins de la ville, les plans de développement de l’acteur, ainsi que les ICP pour mesurer la valeur) ; et (iii) définir précisément ce que l’on attend des acteurs privés (i.e. quantifier le niveaux de baisse de la congestion et des émissions).

Atteindre le plus haut niveau de MaaS nécessite un cercle vertueux connectant les villes qui apportent leur expertise en matière de réglementation et de planification urbaine, les opérateurs privés qui apportent leur expertise en matière de mobilité et de technologie, et les autres entités publiques et privées (groupes environnementaux, communautaires et économiques par exemple) qui peuvent influencer l’adoption des différents modes de transport. Quand toutes les composantes – et les parties – seront en place, les bénéfices de la nouvelle mobilité seront à portée de main.

L’œil de la revue Third

Nous sommes ravis d’avoir pu compter sur la contribution du Boston Consulting Group pour partager leur vision de l’avenir des mobilités. L’article proposé par Joël Hazan, Nikolaus Lang et Hind El Abassi Chraibi, explique de manière très éclairante la signification et l’impact du MaaS, le nouveau modèle de mobilité qui pourra soutenir une mobilité vertueuse dans la Smart City, à condition de comprendre les clés de sa bonne mise en œuvre.



1. Boston Consulting Group; Solving the Cooperation Paradox in Urban Mobility, 9 novembre 2018. Disponible au lien suivant: https://www.bcg.com/fr-fr/publications/2018/solving-cooperation-paradox-urban-mobility.aspx. (Retour au texte 1)

partager cet article
Partager sur

Ce site utilise des cookies d'audience afin d'améliorer la navigation et les fonctionnalités.