third
Mai 2020

Numéro quatre

Retrouvez le numéro quatre de Third : Repenser l’éducation avec le numérique

Third | Mai 2020

Parcoursup : regard juridique sur l’algorithme de référence du monde éducatif français

Jérémie Aflalo, Michel Leclerc & Arthur Millerand, associés du cabinet Parallel Avocats (www.parallel.law).

 

Les parcours éducatifs des jeunes français ne sont pas restés à l’abri de la révolution numérique : « Parcoursup » en est la preuve.

Désormais bien connu du public, c’est le nom de l’interface numérique de préinscription en première année de l’enseignement supérieur qui a remplacé le système « Admission Post Bac ». En tant que dispositif décisif pour l’avenir des jeunes français, Parcoursup occupe naturellement une place de choix dans les discours publics et les analyses sur l’impact du numérique sur l’éducation.

 
Au-delà des aspects sociétaux et technologiques, Parcoursup est un cas pratique particulièrement intéressant d’un point de vue juridique. En effet, il permet, d’une part, d’analyser le cadre applicable à un système algorithmique utilisé par un organisme public mais aussi, d’autre part, de dresser des perspectives sur les règles à venir en matière de gouvernance publique algorithmique.

Nous présenterons dans un premier temps le fonctionnement et le cadre juridique applicable à la plateforme Parcoursup, avant d’analyser les controverses juridiques qui entourent sa mise en œuvre et en tirer des enseignements sur l’ « administration algorithmée » en cours de construction.
 

Parcoursup : la « machine » qui affecte les élèves dans l’enseignement supérieur

 
Pour beaucoup, Parcoursup est devenu un synonyme de la répartition, aléatoire, mystérieuse, stressante et parfois opaque des lycéens français dans l’enseignement supérieur.
 
Les points clés du fonctionnement de Parcoursup
 
Parcoursup est un système informatique national qui, depuis 20181, permet (i) aux lycéens, apprentis ou étudiants en réorientation qui souhaitent entrer dans l’enseignement supérieur de formuler leurs vœux de poursuite d’études et de répondre aux propositions d’admission des établissements dispensant des formations du premier cycle de l’enseignement supérieur (licences, prépas, BTS, écoles d’ingénieurs…) et (ii) au Ministère de l’éducation Nationale, d’affecter les candidats au sein des formations de l’enseignement supérieur. Naturellement, il fonctionne avec l’aide d’algorithmes informatiques, c’est-à-dire de la description d’une suite d’étapes permettant d’obtenir un résultat à partir d’éléments fournis en entrée2.

Parcoursup est le successeur du système « Admission Post Bac » qui affectait les élèves dans le supérieur en se fondant sur leurs vœux, leur priorisation et sur le recours à un tirage au sort pour départager les candidats dans les formations en tension pour lesquelles le nombre de candidatures était supérieur au nombre de places offertes. S’éloignant de ce fonctionnement, Parcoursup fonctionne en deux temps :

Une procédure nationale : cette procédure de préinscription dans une formation de premier cycle implique que chaque candidat formule 10 vœux non hiérarchisés3.

Une procédure locale (aussi qualifiée d’ « algorithme local ») : cette procédure a lieu au niveau de chaque établissement dans les filières sélectives (celles qui fonctionnent à partir de critères qui leur sont propres) et les filières non sélectives mais dites « en tension » (celles qui procèdent à un classement des dossiers sans pouvoir opposer de refus)4. Autrement dit, les chefs d’établissements réunissent une commission d’examen des vœux qui définit les modalités et les critères5 d’examen des candidatures rassemblées sur la plateforme nationale et proposent les réponses devant être apportées aux candidats6 afin de procéder à la sélection des étudiants7.

Toutes ces informations sont ensuite traitées, à grande échelle, par un système algorithmique d’affectation dans l’enseignement supérieur, ce qui est naturellement encadré.

Les règles essentielles qui encadrent le fonctionnement de Parcoursup

L’utilisation d’outils de prises de décisions automatisées par les organismes publics ne s’est pas développée à l’abri de la loi. En effet, le récent Code des relations entre le public et l’administration8 contient des dispositions qui encadrent le recours aux algorithmes pour prendre des décisions individuelles telles que celles qui émanent du système Parcoursup.

Formulées dans une logique d’accès aux documents administratifs, les obligations imposées à l’administration reposent sur une exigence de transparence9 :

D’une part, l’administration est tenue, de manière générale, de publier les règles définissant les principaux traitements algorithmiques qu’elle utilise : c’est sous cet angle qu’il convient d’apprécier la publication, en mai 2018, de l’algorithme de Parcoursup par le Ministère de l’éducation Nationale.

D’autre part, l’administration est tenue d’informer la personne concernée, de l’utilisation d’un traitement algorithmique : cette exigence se matérialise sur la plateforme à travers les diverses mentions explicatives accompagnant l’inscription de chaque lycéen concerné.

Enfin, l’administration est tenue, sur demande de la personne concernée, d’expliquer les règles et les principales caractéristiques du traitement algorithmique.

Naturellement, ce dispositif juridique de transparence a des limites, qu’elles soient clairement établies (comme la protection du secret des délibérations10) ou débattues (comme en témoignent les multiples controverses sur le fonctionnement de ce système).
 

Parcoursup, un algorithme qui en dit long sur tous les autres ?

 
Comprendre les critiques juridiques adressées à Parcoursup nous semble un préalable nécessaire pour progresser sur les questions essentielles de la régulation des algorithmes, en particulier lorsqu’ils sont utilisés par l’état et l’administration.

La redevabilité et la transparence des algorithmes au cœur des débats juridiques entourant Parcoursup

Parcoursup a donné lieu à de nombreux débats ainsi qu’à un important contentieux administratif, centré sur des critiques relatives à la transparence et la capacité de l’administration de rendre compte de son fonctionnement ainsi que d’expliquer les décisions que l’algorithme permet de prendre.

Les débats, notamment axés sur le principe de « redevabilité »11, c’est-à-dire la capacité pour celui qui utilise un algorithme d’en rendre compte, se sont ainsi matérialisés sur différents fronts :

Un contentieux administratif sur la communication des procédés algorithmiques locaux utilisés dans le cadre du traitement des candidatures à l’entrée en licence12, qui s’est cristallisé autour de l’impossibilité pour un non-candidat d’accéder aux critères de sélection des établissements. Cette question de l’accès des tiers aux critères et modalités d’examen des candidatures a été tranchée par le Conseil constitutionnel le 3 avril 2020. Dans sa réponse à une question prioritaire de constitutionnalité13 transmise par le Conseil d’Etat14, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en vertu du droit constitutionnel d’accès aux documents administratifs, il était nécessaire pour chaque établissement de publier à l’attention des tiers, à l’issue de la procédure d’affectation, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et préciser dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen.

Une prise de position du Défenseur des droits, Jacques Toubon, en faveur de l’information des candidats sur le contenu exact et la manière précise d’évaluer les candidatures15.

Des débats sur l’utilisation des critères relatifs au taux de boursiers et au taux de bacheliers « hors académie » ont également lieu car les boursiers sont admis de manière prioritaire tandis que les candidats « hors-académie » sont évincés dès lors que le quota est atteint pour une formation donnée. Il s’agit de données clés du fonctionnement de Parcoursup qui devraient, selon certains, être communiquées aux candidats au moment de leurs vœux16.

Des critiques sur le caractère incomplet des éléments de code rendus publics concernant Parcoursup. La Cour des comptes a réalisé un audit qui conclut que les éléments publiés ne représentent qu’1 % du nombre de lignes de code et moins de 2 % des fichiers produits dans le cadre de l’exercice des missions dévolues à l’opérateur de la plateforme, ce qui nuirait à une bonne compréhension de l’algorithme17.

Ces différentes difficultés nous incitent à tirer des enseignements à plus grande échelle pour mieux comprendre et appréhender ce que certains appellent « l’administration algorithmée »18.

Quelle régulation des algorithmes utilisés par les administrations publiques ?

Le niveau d’information, le degré de transparence ainsi que l’exhaustivité et le poids des critères utilisés dans le cadre du fonctionnement de Parcoursup sont les éléments clés faisant l’objet de controverses. Et pour cause ! Il nous semble que c’est autour de ces notions que se construit le droit des algorithmes en France et que nous pouvons imaginer l’avenir du contrôle des décisions prises par l’administration sur la base de programmes informatiques.

Les services de l’état voient leur fonctionnement massivement dématérialisé, que ce soit pour les procédures d’immatriculation des véhicules19, de calcul des impôts, d’aide à la décision d’attribuer un greffon à un patient20, des procédures juridictionnelles21 ou encore des dispositifs d’échanges dématérialisés des données d’état civil22. Ce sont autant d’éléments qui témoignent que l’utilisation d’algorithmes est devenue indispensable pour traiter des grandes masses de données. Et, au-delà des questions sémantiques (certains comparent l’état à une « marketplace »23 ou parlent de «e-gouvernement »24), ce basculement des administrations dans le numérique requiert de prendre en considération le besoin de transparence et d’explicabilité des solutions algorithmiques utilisées par l’administration.

En effet, l’algorithmisation de l’activité administrative (dont Parcoursup est un excellent exemple) va bien plus loin que la simple dématérialisation des services et des relations entre l’administration et les administrés. Elle va jusqu’à remplacer la décision humaine par une décision informatique ou, à tout le moins, faire de la décision informatique un préalable à la décision humaine.

Dans ce mouvement croissant, c’est naturellement la question du fonctionnement de chacun des algorithmes utilisés qui sera soulevée : il est difficilement envisageable d’imposer aux administrés des décisions prises par ou à l’aide d’un outil dont la composition est inconnue des citoyens. Mais, pour comprendre le fonctionnement de ces algorithmes, il faudra en outre disposer des compétences nécessaires, en particulier technologiques, qui ne sont pas, pour le moment, communément maitrisées.

Gageons que ces deux chantiers, à savoir, d’une part, l’information du public sur les outils numériques et, d’autre part, l’éducation du public à comprendre le fonctionnement de ces mêmes outils, sont déjà en mouvement et nous permettront d’aboutir à une « administration algorithmée » vertueuse et judicieusement encadrée.

 



1 | Loi n°2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, article 1. (Retour au texte 1)
2 | Définition de l’algorithme par la CNIL. (Retour au texte 2)
3 | FRESSOZ Pierre, Services publics -Traitements algorithmiques utilisés par les universités dans le cadre de « Parcoursup » : un droit d’accès limité et réservé aux seuls candidats, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 30-34, 29 juillet 2019, 2238. (Retour au texte 3)
4 | NOGUELLOU Rozen, Les évolutions du mécanisme d’affectation dans le supérieur : Parcoursup an II – AJDA 2019. 1797. (Retour au texte 4)
5 | FRESSOZ Pierre, Services publics -Traitements algorithmiques utilisés par les universités dans le cadre de « Parcoursup » : un droit d’accès limité et réservé aux seuls candidats, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 30-34, 29 juillet 2019, 2238. (Retour au texte 5)
6 | FRESSOZ Pierre, Services publics -Traitements algorithmiques utilisés par les universités dans le cadre de « Parcoursup » : un droit d’accès limité et réservé aux seuls candidats, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 30-34, 29 juillet 2019, 2238 ; en vertu des articles C. éduc., art. L.612-3-IV et C. éduc., D. 612-1-13. (Retour au texte 6)
7 | Question écrite avec réponse n°8693, 29 mai 2018 – Enseignement supérieur, M. Daniel Fasquelle – Numérique. (Retour au texte 6)
8 | Créé par l’ordonnance no2015-1341 du 23 octobre 2015. (Retour au texte 8)
9 | Article L.312-13 du Code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve de l’application du 2°de l’article L.311-5, une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l’intéressé. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l’administration à l’intéressé s’il en fait la demande. Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat ». (Retour au texte 9)
10 | Article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l’administration ; article L. 612-3 I du Code de l’éducation. (Retour au texte 10)
11 | Le principe de redevabilité ou encore désigné sous le terme d’« accountability » en anglais implique que « l’opérateur doit expliquer l’algorithme, déclarer certains paramètres ou traitements et les rendre auditables, le cas échéant, par un tiers de confiance » selon l’explication donnée par Illarion PAVEL et Jacques SERRIS dans Faut-il réguler les algorithmes ?, Third n°1, novembre 2018, pp. 42 et s. (Retour au texte 11)
12 | Conseil d’état, 4ème – 1ères chambres réunies, 12 juin 2019, n°427916, UNEF c/ Université des Antilles. (Retour au texte 12)
13 | www.conseil-constitutionnel. fr : « Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est le droit reconnu à toute personne, partie à un procès, de soutenir qu’une disposition législative est contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit. Ce contrôle est dit a posteriori, puisque le Conseil constitutionnel examine une loi déjà entrée en vigueur ». (Retour au texte 13)
14 | Conseil d’état, 4ème – 1ères chambres réunies, 15 janvier 2020, UNEF, req. n°433296. (Retour au texte 14)
15 | Décision n°2019-021 du 18 janvier 2019 relative au fonctionnement de la plateforme nationale de préinscription en première année de l’enseignement supérieur (Parcoursup). (Retour au texte 15)
16 | NOGUELLOU Rozen, Les évolutions du mécanisme d’affectation dans le supérieur : Parcoursup an II – AJDA 2019. 1797. (Retour au texte 16)
17 | Cour des comptes, Un premier bilan de l’accès à l’enseignement supérieur dans le cadre de la loi orientation et réussite des étudiants – Communication au comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale février 2020, III Une transparence et une valorisation limitées A Des progrès modestes dans la transparence du code de Parcoursup p. 53. (Retour au texte 17)
18 | GRANDJEAN Anne-Claire, Le défenseur des droits, acteur-clé face à l’Administration algorithmée. (Retour au texte 18)
19 | Arrêté du 30 mai 2017, portant information du public sur la dématérialisation de la procédure de demande de duplicata de certificat d’immatriculation d’un véhicule et modifiant l’arrêté du 9 février 2009 relatif aux modalités d’immatriculation des véhicules. (Retour au texte 19)
20 | MOURIESSE élise, L’opacité des algorithmes et la transparence administrative, RFDA 2019 p. 45. (Retour au texte 20)
21 | Décret n°2016-1481, 2 novembre 2016, relatif à l’utilisation des téléprocédures devant le Conseil d’état, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs. (Retour au texte 21)
22 | Loi n°2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle, art. 53 : JO n°0269, 19 novembre 2016. (Retour au texte 22)
23 | O’REILLY Tim, Government as a Platform, 2010 O’Reilly Media, Inc. innovations, volume 6, number 1. (Retour au texte 23)
24 | AUBY Jean-Bernard, Le droit administratif face aux défis du numérique – AJDA 2018. 835. (Retour au texte 24)

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