Numéro Sept
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Third : Soigner avec le numérique
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Une relation collaborative entre patient et professionnel doit, en toute logique, générer un cercle vertueux. Le patient, plus autonome, s’engage davantage dans son propre soin, et le praticien, plus proche du patient, adapte mieux le soin à la situation réelle du patient. Les décisions thérapeutiques ainsi partagées entre eux, sont plus efficaces, produisent de meilleurs résultats cliniques, optimisent les coûts, et rendent la relation plus satisfaisante. La médecine participative appartient à la médecine des 4P, une médecine personnalisée, préventive, prédictive et participative1.
La médecine participative aura mis plus d’un demi-siècle à prendre forme
Si la Constitution de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) établie en 1946, a pu avoir une allure prophétique en énonçant que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain », la médecine participative n’avait pas encore de relais réel. Le premier grand exemple de médecine participative remonte à 1947 aux Etats-Unis, lorsque le Dr Benjamin Spock, pédiatre, contredit ses confrères dans un livre destiné aux jeunes mamans. Spock les encourage à suivre leur instinct concernant les heures d’allaitement ou de biberon, et à désobéir aux contraintes horaires « prescrites » par les praticiens. Les ventes du livre explosent, n’étant dépassées que par celles de la Bible. Fort de son succès, le Dr Spock présente ses recommandations à l’American Medical Association (AMA), qui le prend pour un activiste révolutionnaire. Dans les années 1950, les patients gagnent le droit d’être informés des bénéfices et des risques des pratiques médico-chirurgicales ordonnées par les médecins. En 1973, un article du New England Journal of Medicine recommande une idée insolite à l’époque, celle de donner aux patients une copie de leur dossier médical (sur papier)2. Ce droit du patient à l’information sera revendiqué par les millitantes féministes pour la contraception, par les personnes concernées par l’accès aux traitements pour le SIDA, par les patients souffrant d’un cancer, et progressivement par les représentants de nombreuses causes médicales, grâce à l’arrivée et à l’expansion de l’Internet. L’accès libre et gratuit depuis 1996, grâce à Pubmed, aux abstracts3 des publications scientifiques réservés jusqu’alors aux abonnés (essentiellement des universitaires), a été une révolution. Les profils des médicaments, les recherches cliniques, les différents protocoles de traitement pour les mêmes maladies, devenaient beaucoup plus transparents, tant pour les patients que pour l’ensemble des praticiens.
En France, la loi dite « Kouchner » relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, promulguée le 4 mars 2002, représente un tournant dans l’histoire de la médecine participative et va plus loin que la loi américaine dans la protection des patients. Elle consacre deux principes étroitement liés l’un à l’autre : le consentement libre et éclairé du patient aux actes et traitements qui lui sont proposés, et son corollaire, le droit du patient d’être informé sur son état de santé (article L. 1110-2 du Code de la Santé Publique).
La loi Kouchner introduit aussi la démocratie sanitaire, re-nommée depuis « la démocratie en santé ». « C’est une démarche qui vise à associer les usagers du système de santé à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de santé » et animée localement par les Agences Régionales de Santé qui encouragent « le débat public », «la participation des acteurs de santé » et « la promotion des droits individuels et collectifs des usagers »4.
Si la loi française garantit l’égalité de l’accès à des soins de qualité, il est difficile de garantir cette égalité dans les faits, car l’infrastructure technique, les spécialisations, le volume des actes, le management des équipes et les effectifs varient au sein du système de soins. La médecine participative qui encourage le patient et ses proches à s’engager dans la prise en charge de la santé du patient, a donc toute sa place.
La médecine participative peut se décliner de mille manières
La médecine participative est vaste ; elle va de la manière par laquelle les acteurs de santé envisagent leur relation au patient à la mise à disposition d’innovations techniques, technologiques, ou organisationnelles qui favorisent la considération des patients et de leurs proches en tant qu’agents autonomes, contributeurs à la bonne gestion de leur santé. Parmi les possibilités offertes pour la développer, nous pouvons citer :
L’existence d’une médecine plus participative est palpable en France, même si sa situation, selon les patients, semble avoir été fragilisée par la crise de la Covid-19. D’autre part, la formation des professionnels de santé reste, sur le fond, plutôt traditionnelle. Les déserts numériques ralentissent l’usage des applications. Le système de santé et l’exercice de la médecine sont encore en pleine transformation.
Certains facteurs convergent néanmoins pour pousser le système à adopter un scénario où le patient est co-pilote de sa santé:
– l’évolution, sous l’effet de la génération Y et celles qui suivent, de la société française vers des relations moins hiérarchisées ;
– les efforts de nombreux acteurs de santé pour soutenir le mouvement ;
– les moyens inscrits dans la loi française pour favoriser la défense des usagers du système de santé dont la démocratie en santé ;
– la solitude du patient chronique qui l’oblige à se prendre en main ;
– des recherches démontrant le bienfait médical de la médecine participative ;
– la création en 2009 d’une formation diplômante de « Patient Expert » ;
– la création de start-up en santé par des patients ;
– l’expansion de l’usage de la téléconsultation et d’autres applications digitales permettant l’échange de données médicales…
Et la liste est loin d’être exhaustive.
Les exemples ci-dessous ont été choisis car parmi les premiers de leur catégorie.
The Association of Cancer Online Resources (ACOR), l’une des toutes premières initiatives significatives, a vu le jour en 1995, avec Gilles Frydman, ingénieur français aux États-Unis qui a sauvé sa femme d’une erreur médicale majeure, grâce à des informations obtenues de patients qui échangeaient sur une liste de diffusion, le « WhatsApp » de l’époque. Gilles ouvre une un site contenant des listes dédiées aux multiples types de cancer, chacune des 150 listes étant gérée par un patient ou un proche. Des patients venus du monde entier diront qu’ACOR a prolongé leur espérance de vie et la National Cancer Institute (NCI), l’Institut national du cancer aux États-Unis a reconnu ACOR. La fondation est maintenant dissoute, mais les listes continuent de fonctionner même si ces outils sont techniquement dépassés5.
Renaloo est né en 2001, en tant que blog et forum avec une dimension participative, à l’initiative d’une patient française greffée, Yvanie Caillé. Une communauté de patients et de soignants s’est très vite constituée, alors que les Français internautes étaient encore rares. Devenue association en 2008, Renaloo informe les patients et les aide à défendre leurs droits. Un des principaux combats de Renaloo est de défendre l’accès des patients à la greffe, car elle permet une espérance et une qualité de vie supérieures à celles d’un patient dialysé6. Renaloo a organisé les Etats Généraux du Rein, consacrés à l’insuffisance rénale, sous forme de co-construction entre patients, professionnels et institutionnels. Renaloo a réalisé deux enquêtes sur le vécu des patients pendant la Covid-19 ; les résultats du premier volet ont été publiés dans le British Medical Journal (BMJ)7. Renaloo veille à l’information et à la protection contre la Covid-19 des patients immunodéprimés sévères en termes de stratégie vaccinale, de conditions de travail, et d’accès aux traitements.
11Health est une start-up lancée par Michael Seres, en 2013, deux ans après être devenu le onzième greffé du colon au Royaume-Uni. Michael, décédé en 2020, laisse une société qui fonctionne bien, une équipe et une communauté inspirées. Représentée en France, 11 Health propose aux patients porteurs de stomie8, des services qu’ils ont demandés, dont une stomie connectée qui transmet des informations à une application pour patients et professionnels, des formations, et un accès à distance à un coach patients et une infirmière.
The Open Pancreas Artificial System (#OpenAPS)9 ou Pancréas Artificiel Ouvert, créé en 2014, est, à notre connaissance le premier kit d’innovation open source, créé par des patients et leurs proches. Ce kit a réduit le délai d’accès des personnes ayant un diabète de type 1, à un outil qui optimise la gestion de la glycémie. Un capteur lit la glycémie de l’utilisateur et une application mobile ajuste le dosage d’insuline que reçoit la pompe. Cette même communauté réalise des recherches cliniques.
Le Diabète LAB, lancé en 2015 par la Fédération Française des Diabétiques, fait partie des premières associations à structurer la « co-construction et la co-évaluation de produits et services. » pour que les personnes diabétiques puissent « devenir actrices de leur maladie »10.
La France adopte la médecine participative avec Mon Espace Santé
Nous attendons le lancement en France en le 1er janvier 2022, d’un outil qui pourrait singulièrement accélérer l’adoption de la médecine participative. Il s’agit de Mon Espace Santé, « dont l’objectif est de permettre à l’usager de gérer ses données de santé : de les stocker, mais aussi de les partager avec les professionnels et les établissements de santé, de manière sécurisée. Il contiendra une version améliorée du Dossier Médical Partagé, une messagerie sécurisée, un agenda santé, et un catalogue d’applications validées par l’Etat »11.
La Médecine participative, c’est le sens de l’histoire. La pratiquez-vous ?
L’article de Denise Silber illustre avec beaucoup de clarté la notion de médecine participative et la manière dont cette idée peut améliorer les soins et gagner en efficacité grâce au numérique.
1 | https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1878786X21000280#! (Retour au texte 1)
2 | https://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJM197309272891311(Retour au texte 2)
3 | Un résumé, ou abstract (d’après le terme anglais), est un résumé d’un article de recherche, d’une thèse, d’une critique, d’actes de conférence ou de tout autre document. Son objectif est de permettre au lecteur de cerner rapidement le sujet du document et ses points principaux.(Retour au texte 3)
4 | https://www.ars.sante.fr/quest-ce-que-la-democratie-en-sante-3(Retour au texte 4)
5 | https://listserv.acor.org/scripts/wa-ACOR.exe?INDEX(Retour au texte 5)
6 | En médecine, la dialyse est une méthode d’épuration du sang à travers une membrane. C’est un traitement de suppléance qui n’assure qu’incomplètement le remplacement de la fonction rénale. Elle débarrasse le sang des déchets et de l’eau (ou toxines) accumulés en excès dans le corps.(Retour au texte 6)
7 | https://renaloo.com/le-british-medical-journal-publie-les-1ers-resultats-de-notre-grande-enquete-sur-l-experience-des-malades-du-rein-durant-l-epidemie-de-covid19/(Retour au texte 7)
8 | Une stomie désigne un abouchement à la peau, au niveau de la paroi abdominale (sur le ventre), d’une partie de l’intestin ou de l’urètre en vue de permettre l’évacuation des selles et des gaz ou des urines.(Retour au texte 8)
9 | https://openaps.org/(Retour au texte 9)
10 | https://diabetelab.federationdesdiabetiques.org/nos-missions(Retour au texte 10)
11 | https://demarchesadministratives.fr/actualites/mon-espace-sante-ce-que-l-on-sait-du-nouveau-service(Retour au texte 11)