third
Mai 2018

Numéro Zéro

Retrouvez le numéro zéro de Third : La plateforme, clé de voûte de la révolution numérique.

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Third | Mai 2018

Les enjeux juridiques de la voiture autonome

On ne compte plus les acteurs qui se lancent dans le développement de voitures autonomes (par exemple Google, Uber, Lyft ou Renault Nissan). de même, les questions relatives à cette innovation technologique défrayent la chronique tant parce que cela renvoie à des rêveries futuristes que parce que les enjeux sont importants (par exemple, l’accident mortel causé par un véhicule autonome Uber en mars 2018).

Cette évolution technologique, couplée au développement des voitures électriques, annonce un âge nouveau pour l’industrie automobile (les constructeurs jouent une partie de leur avenir et les éditeurs de logiciel doivent saisir ces opportunités cruciales), pour l’accessibilité et la cohésion des territoires (l’avènement de véhicules autonomes pourrait mener au désenclavement de certaines zones) mais également pour l’avenir social des professionnels de la route (autonomie des véhicules signifie absence de chauffeurs et donc chômage pour cette catégorie de personnes). Tout en étant optimiste, l’affirmation « les voitures autonomes, c’est l’avenir » relève déjà du présent.

Et pourtant… aucun cadre juridique dédié ne concerne ces machines et la règlementation n’est pas adaptée à ces activités nouvelles. Comme nous l’avons régulièrement dit, le droit est toujours en retard sur les usages et l’innovation : c’est une nouvelle fois le cas et les enjeux sont lourds de conséquences. Voici quelques perspectives à garder à l’esprit pour aborder les questionnements sur le sujet.

Le Code de la route

De manière très concrète, il faudra sans doute procéder à une refonte du Code de la route pour intégrer cette mutation sans précédent. En effet, en plus des règles qui se trouveront obsolètes en raison de cette innovation, ce sont les principes fondateurs du Code qu’il faut retravailler (ex : l’article R. 412-6 dispose que « tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manoeuvres qui lui incombent » ne serait plus adaptésauf à élargir la notion de conducteur). Ces réflexions devront également être intégrées dans les projets de « villes intelligentes » (smart cities) où les innovations bouleverseront l’agencement de la chaussée et des zones urbaines.

Les données des voitures et des passagers

Si aucune règle dédiée n’existe pour ces situations nouvelles, les questionnements sont nombreux. En effet, comment distinguer les données « personnelles » parmi les données de transport (ex : les données relatives à la consommation d’essence sont elles « personnelles » au sens juridique du terme ?) ou encore comment assurer la sécurité et l’intégrité des systèmes informatiques pilotant les voitures pour éviter les piratages ?

La responsabilité en cas d’accident

Cette question vient facilement à l’esprit tant elle est évidente. Si certains textes peuvent être mobilisés (directive 2006/42/CE ou la convention de Vienne sur la circulation routière), un vide juridique existe. En matière civile, on pourrait sans doute développer des raisonnements à partir du droit commun de la responsabilité et du droit spécial de la loi Badinter mais, en matière pénale, la question serait plus complexe encore. On pourrait entrevoir un glissement de la responsabilité (au sens large, c’est-à-dire sans distinguer entre le civil et le pénal) du conducteur au constructeur. Pour autant, lorsqu’on
imagine le cadre juridique futur, il nous semble opportun de séparer la situation du concepteur de la voiture, du constructeur de la voiture et de l’auteur du système informatique tout en conservant, si cela est pertinent selon la technologie, une part de responsabilité pour le « conducteur » (ou du moins ce qui pourrait rester de cette notion).

Actions et initiatives concrètes

Les mutations inédites induites par l’avènement des voitures autonomes
sont profondes et le droit a un rôle clé à jouer pour sécuriser et encadrer le développement de ces pratiques (cela revient notamment à poser la question de l’intelligence artificielle et du statut des algorithmes).

En termes d’actions concrètes, on peut faire référence à la Commission de déontologie du Ministère des Transports et de l’infrastructure numérique Allemand qui a publié en juin 2017 un rapport contenant des lignes directrices sur les véhicules autonomes ou au parlement américain qui a adopté un projet de loi concernant les voitures autonomes (le Sénat doit encore se prononcer sur ce texte qui vise à construire le cadre juridique adéquat, notamment en supprimant certaines contraintes de sécurité applicables aux conducteurs « physiques »). Ces démarches novatrices visent en effet à appréhender les questions (notamment juridiques) posées par ces nouvelles interactions entre l’homme et la machine.

Des réflexions similaires doivent être initiées en France, mais également à l’échelle de l’Union Européenne pour garantir l’uniformité du marché commun. Les années à venir seront déterminantes pour la création d’un cadre juridique adapté pour ces nouvelles technologies.

Il agira également pour soutenir l’émergence d’une filière industrielle européenne du véhicule autonome, en construisant les politiques et les régulations adaptées à ce nouveau mode de transport.

Alors que le Gouvernement a voulu insister à la fin de l’année 2017 sur sa volonté de « soutenir l’émergence d’une filière industrielle européenne du véhicule autonome, en construisant les politiques et les régulations adaptées à ce nouveau mode de transport » et que nous nous trouvons à l’aube de la nouvelle loi des mobilités (présentée en mai 2018), il sera déterminant d’observer dans quel sens iront les règles prises par le législateur français et européen sur ce sujet crucial.

Le rapport « Donner un sens à l’intelligence artificielle » du député Cédric Villani publié le 28 mars 2018 fixe un feuille de route ambitieuse pour le développement d’une économie française et européenne autour de l’intelligence artificielle et nous autorise encore à être optimistes sur l’émergence de règles favorables au développement de véhicules autonomes en France. On notera en particulier l’initiative visant à créer une plateforme européenne regroupant les acteurs du transport autonome afin d’assurer un partage efficace de données et créer ainsi la possibilité de fixer des standards industriels en la matière, un point décisif pour le juriste au moment où il faudra déterminer les responsabilités de chacun.

Le 14 mai 2018, Anne-Marie Idrac a présenté ses conclusions sur la stratégie française concernant la voiture autonome. À cette occasion, un rapport détaillé des enjeux et du cadre juridique a été publié pour mettre en lumières les actions concrètes à déployer.

Le législateur français a ainsi décidé de soutenir les initiatives sur son territoire en prenant un décret le 28 mars 2018 qui autorise l’expérimentation, dans de strictes conditions, de véhicules autonomes sur la voie publique. Cette mesure concrète démontre la nécessité d’un cadre juridique ambitieux, lequel sera sans doute créé par la Loi d’Orientation sur les Mobilités qui sera présentée après l’été 2018.

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