Numéro Zéro
Retrouvez le numéro zéro de Third : La plateforme, clé de voûte de la révolution numérique.
Retrouvez le numéro zéro de Third : La plateforme, clé de voûte de la révolution numérique.
Le premier acte de l’évolution juridique du secteur est la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur (dite « Thévenoud ») qui modifie le Code des transports pour tenir compte de l’émergence des plateformes numériques. C’est à l’occasion de cette loi qu’a été créée l’infraction consistant à organiser un système de mise en relation de clients avec des particuliers.
Le second acte de cette frénésie législative, la loi du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes ( dite « Grandguillaume ») est venue apporter son lot de changements mais n’a pas résolu l’une des problématiques juridiques fondamentales qui irrigue tout le Code des transports et bride le développement des modèles numériques.
Le temps passe, les enjeux juridiques demeurent et le législateur continue d’adopter des règles qui laissent songeur… Retour sur les principales évolutions de ces récentes années.
Une des questions fondamentales agitant le secteur est la frontière entre les trajets « à frais partagés » et ceux réalisés « à titre onéreux ». Cette distinction est importante car les premiers ne sont pas règlementés tandis que les seconds sont réservés à un professionnel du transport (VTC ou taxi principalement). Les nouveaux modèles économiques du numérique se sont développés et ont cherché à exploiter les potentiels des trajets urbains « à frais partagés » (la société Heetch étant la plus emblématique de ce phénomène).
Cependant, les professionnels du transport de personnes, au premier rang desquels les taxis, se sont mobilisés contre ces modèles innovants et ont fait valoir qu’il s’agissait de transport « à titre onéreux » nécessitant des licences en vertu du Code des transports. Face à ce mouvement, la Loi Thévenoud a introduit une nouvelle infraction dans le Code des transports pour incriminer les entreprises qui mettaient en place un système de mise en relation entre des passagers et des personnes qui ne sont pas des transporteurs publics de personnes (le champ de cette infraction a été étendu par la Loi Grandguillaume en supprimant la référence à la notion de « système » et en incriminant le seul fait de mettre en relation).
La frontière entre le « partage de frais » et les trajets « à titre onéreux » a été âprement débattue dans le cadre des procès d’Uberpop et de Heetch qui se sont tenus en 2016. S’il existe d’importantes différences entre les deux modèles (Heetch s’étant construite pour faire du covoiturage courte distance), les juges ont considéré qu’aucune des deux applications ne pouvait rentrer dans la définition du covoiturage (les deux affaires sont actuellement pendantes devant la Cour d’appel de Paris).
Pourtant, la définition de la loi n’est pas satisfaisante car elle conduit à une appréciation restrictive et subjective de certains critères (par exemple, l’initiative du trajet), ce qui pénalise les entrepreneurs qui cherchent à mobiliser de nouveaux segments de marchés. Les Assises de la Mobilité ont mis en lumière ces difficultés juridiques et la loi d’orientation attendue dans les prochains mois pourrait faciliter le développement de certains modèles fondés sur les « frais partagés ».
De notre côté, nous militons depuis plusieurs années pour l’adoption transversale de la notion de « partage de frais », c’est-à-dire pour tout transport (personnes et marchandises) et tout moyen de transport (avions, bateau et voiture), en modifiant les articles préliminaires du Code des transports. Nous souhaitons que le droit soit un instrument favorable aux nouvelles formes de mobilités et laisser au juge la responsabilité de façonner les contours des notions en adaptant les règles à chaque cas particulier.
Dans le Code des transports, la Loi Grandguillaume a créé une partie relative aux activités de mise en relation en matière de transport routier de personnes. Le texte prévoit une définition de la « centrale de réservation », un statut différent de celui de simple plateforme de mise en relation, puisqu’elle est définie comme le professionnel qui met en relation des « conducteurs » exerçant leur activité « à titre professionnel » avec des « passagers » pour la réalisation de déplacements routiers répondant à certaines caractéristiques (véhicules motorisés, huit places assises au maximum et ne relevant pas du
covoiturage). La plateforme de mise en relation a la même définition sans que le conducteur ne doive réaliser le déplacement « à titre professionnel ».
Quel est l’intérêt de cette distinction ?
D’une part, il s’agit pour le législateur d’unifier les obligations incombant à tous les professionnels de la mise en relation, que les conducteurs soient des taxis, des VTC ou des mototaxis.
D’autre part, on remarquera que la Loi Grandguillaume a instauré un régime de responsabilité strict à la charge des « centrales de réservation » puisqu’elles sont responsables de plein droit à l’égard du client transporté de la bonne exécution des obligations résultant du contrat de transport qui s’est formé entre le chauffeur et son client. Il s’agit là d’un renforcement net de la responsabilité des plateformes qualifiées de « centrales de réservation » qui posera sans aucun doute de nombreuses questions pratiques quant à sa mise en oeuvre dans les prochains mois. En effet, à titre d’exemple, ce régime de responsabilité est proche de celui auquel sont soumis les opérateurs de voyages, à l’opposé d’un simple courtier, statut au régime de responsabilité moins strict souvent convoité par les plateformes. C’est donc le critère du caractère professionnel de l’activité du conducteur transportant une personne qui est décisif pour qualifier une plateforme de « centrale de réservation » et non de simple professionnel de la mise en relation.
La Loi Grandguillaume interdit aux services de transports collectifs issus de la loi d’orientation des transports intérieurs de 1982 (dite « LOTI ») de recourir aux plateformes de mise en relation et professionnels du transport, à moins qu’ils n’opèrent dans des véhicules de plus de huit places passagers.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2018, le régime des LOTI ne peut plus être utilisé par les chauffeurs trouvant des courses grâces aux applications. Cette modification d’ampleur a conduit, au moins temporairement, à réduire le nombre de chauffeurs en mesure de conduire des VTC et laisser une masse non négligeable de chauffeurs sans possibilité de travailler avec des plateformes VTC telles que Uber, Chauffeur Privé ou Le Cab. Naturellement, cet effet de marché causé par l’entrée en vigueur d’une nouvelle règle pourrait créer de nouvelles opportunités dans le secteur puisque les plateformes de mise en relation se développent également dans le transport de marchandises, secteur qui pourrait permettre à certains de ces chauffeurs de retrouver une activité.
La Loi Grandguillaume intègre aussi au Code de commerce une interdiction faite aux intermédiaires de mise en relation et aux centrales de réservation d’imposer des clauses d’exclusivité aux conducteurs ou entreprises embauchant des conducteurs, à savoir en pratique des clauses leur interdisant de travailler pour plusieurs intermédiaires à la fois.
Une telle interdiction fait sens tant elle fait écho à la réalité d’un secteur où (i) les conducteurs ont souvent recours au cours d’une même journée à plusieurs intermédiaires pour trouver des clients et où (ii) le lien d’exclusivité imposé à un chauffeur partenaire peut être retenu comme un indice de l’existence d’un lien de subordination relevant du salariat.
Les entrepreneurs qui proposent leurs services sur les plateformes sont des partenaires commerciaux et des travailleurs indépendants, ce qui impose de les traiter comme tels dans l’ensemble des relations juridiques. Il est donc naturel de pouvoir développer son activité avec plusieurs clients (même concurrents).