Numéro Sept
Retrouvez le numéro sept de
Third : Soigner avec le numérique
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Third : Soigner avec le numérique
S’il est un domaine dans lequel la question numérique est incontestablement une avancée majeure mais également un débat permanent, c’est bien celui de la santé. La crise sanitaire l’a amplifié tant dans le succès de la téléconsultation que dans l’accélération de la recherche.
S’il est des métiers éminemment manuels et relationnels, ce sont bien ceux de la santé. Mettons-nous d’accord, il s’agit bien de tous les métiers : les quatre métiers médicaux (médecins, pharmaciens, dentistes et sage-femme) comme tous les autres (infirmières, aides-soignantes, kinésithérapeutes, manipulateurs radio, orthophonistes et orthoptistes) de tous niveaux, tous indispensables, tous confrontés à la rareté des professionnels, à la transformation des pathologies et à l’évolution des pratiques professionnelles.
S’il est un domaine dans lequel l’État concède peu de latitude aux collectivités, c’est bien celui de la santé. Mais les conseils régionaux investissent dans la recherche, les entreprises comme dans les maisons de santé depuis 30 ans, elles financent la formation initiale des professionnels de santé non médicaux depuis 2004.
S’il est une identité qui caractérise les conseils régionaux, et tout particulièrement celui de Nouvelle-Aquitaine, c’est l’investissement dans l’innovation comme dans l’attractivité de leurs territoires. Le numérique est devenu une des armes de choix dans les batailles à mener.
Or, le numérique n’est que très peu présent dans la formation des futurs soignants, peu nombreux sont ceux qui le maitrisent en dehors de quelques « geek » passionnés, dont ceux qui ont créé nombres de logiciels médicaux.
Les temps changent et imposent de nouveaux réflexes
Toutes les personnes qui exercent un métier de santé doivent savoir utiliser les outils numériques disponibles. Ce défi est primordial pour différentes raisons, dont les suivantes :
– Les outils de e-santé recueillent, transmettent voire analysent les données des patients : de la fréquence cardiaque à la glycémie, du suivi post chimiothérapie aux données de ventilation assistée, de la téléconsultation à l’analyse de scanner à distance comme de l’appui au diagnostic et aux traitements par des algorithmes, ils feront partie du quotidien des soignants au même titre que la seringue ou le tensiomètre.
– La pénurie de médecins dans les zones rurales, mais de plus en plus dans les villes, contraint les professionnels de santé à travailler en équipe communicante. À cet égard, les outils de communications digitaux sont essentiels dans des emplois du temps contraints ou avec des interlocuteurs nombreux.
– Le dossier patient papier a quasiment disparu et la coopération interprofessionnelle nécessite des dossiers numériques particulièrement bien construits et partagés, chacun devant avoir accès aux données essentielles et non aux autres.
– Connaître les risques et dangers du numérique : les professionnels de santé manipulent les données d’autrui, données particulièrement sensibles que certains pirates seraient prêts à revendre à des prix exorbitants. Mais les professionnels de la santé y sont relativement peu préparés. Puis-je dire ici que la plupart des médecins, y compris dans les CHU les plus modernes, échangent des informations sur leurs patients sur des messageries grand public non sécurisées ?
– Savoir se passer du numérique : nul n’est à l’abri d’une panne de courant, d’une zone blanche et surtout d’une attaque massive bloquant l’accès aux données. Il reste indispensable d’apprendre à garder l’accès aux informations essentielles même sans numérique.
Pour toutes ces raisons, les futurs professionnels de santé doivent être formés à utiliser les outils digitaux durant leurs études.
Les nouveautés numériques dans le contenu des formations
Les formations paramédicales répondent à un référentiel précis dont l’appropriation est reconnue par un diplôme validé par les services de l’État. La durée des études varie de 4 mois (ambulanciers) ou 1 an (aides-soignantes) à 4 ans (masseurs kinésithérapeutes). Elles sont organisées sur la base d’alternance de cours théoriques (50%) en « instituts de formation » et de stages en établissements publics et privés, extrahospitaliers et hospitaliers. Les instituts appartiennent pour la plupart aux établissements hospitaliers de villes moyennes, voire universitaires, pour un total de plus de 300 sites de formation.
Le contenu de ces formations réglementées repose sur l’acquisition de compétences en nombre variable suivant la durée des études (par exemple, 5 pour les aides-soignantes ou 10 pour les infirmières). Or aucun des mots : numérique, codage, digital, algorithme ou informatique n’apparaît dans ces référentiels. Si l’on y parle de données à recueillir ou à analyser, ce n’est jamais dans un contexte numérique. Le numérique n’est donc pas enseigné en tant que tel, y compris dans les référentiels revus les plus récemment. Quelques enseignements sur le codage, les algorithmes voire le droit ne seraient-ils pas essentiels ?
En revanche le digital est de plus en plus utilisé comme outil de formation, la crise du Covid-19 ayant accéléré considérablement son usage. La diffusion des cours par courriel ou CD, l’usage d’exercices en ligne, l’abonnement aux bibliothèques numériques universitaires et l’utilisation de serious games de simulation sont maintenant courants. Beaucoup de salles de simulation des lieux de formations sont équipées de mannequins haute-fidélité pilotés par logiciels.
Cependant l’équipement des lieux de formation comme des étudiants reste parfois insuffisant.
Si d’autres initiatives ont existé (par exemple, le suivi à distance des premières années de formations PASS, LAASS ex PACES grâce aux amphithéâtres équipés en salles immersives à Pau Dax Agen et Périgueux), la formation des infirmières a été fortement digitalisée.
Partager les contenus de qualité où qu’on soit sur le territoire, faire fi des distances, consacrer le présentiel au plus utile, pédagogie inversée : la plateforme e-notitia
Les enseignants des universités de Poitiers, Limoges et Bordeaux dispensent la part universitaire des cours théoriques des 7.800 étudiantes infirmières réparties dans les 28 instituts de la région Nouvelle-Aquitaine. Devant l’impossibilité pour chaque enseignant de se rendre sur chaque site et les médiocres résultats de la diffusion de CD enregistrés et de la retransmission du cours par visio-conférence simultanée, ils ont décidé en 2016 de mettre en ligne des cours numérisés sur une plateforme partagée.
Cette décision a servi de base à la refonte numérique des formations. Elle répond à la volonté de la Région Nouvelle-Aquitaine de fournir une même qualité d’enseignement sur tout le territoire, de limiter les coûts et de produire de l’innovation pédagogique.
L’innovation réside dans la mise à disposition d’un outil adapté à l’appétence numérique des étudiants. Les enseignements sont enregistrés sous format de « capsules » d’environ 20 minutes comprenant un diaporama chapitré sonorisé et / ou des vidéos permettant aux étudiants de travailler sur des petites séquences, gages d’un meilleur apprentissage. Des quizz leur permettent de s’auto-évaluer.
Ces modalités facilitent l’usage de la classe inversée : l’étudiant visualise le cours avant d’approfondir avec l’enseignant uniquement les sujets sur lesquels il rencontre des difficultés.
Un travail étroit entre formateurs des IFSI et universitaires facilite la création de capsules parfaitement adaptées.
Dénommée « e-notitia » la plateforme numérique de type moodle est gérée par l’université de Poitiers. Elle propose un espace de contenus pédagogiques ouvert à tous, un espace de communication entre enseignants et un espace privatif par institut.
Mise en fonctionnement en 2018 pour les formations infirmières, elle a été étendue dès le confinement de mars 2020 à toutes les formations sanitaires, soit 4500 étudiants dans 66 instituts supplémentaires. Il est à noter qu’elle a été plébiscitée dans les formations « infra bac ».
L’engagement régional s’élève à un million d’euros pour la plateforme et l’équipement de tous les IFSI en ordinateurs et en bornes Wifi autonomes et à 300.000 euros par an pour son fonctionnement incluant le support apporté aux enseignants par des ingénieurs pédagogiques.
Apprendre par la simulation : de la poupée de chiffon à l’outil 2.0
Primum non nocere (en premier, ne pas nuire), est le premier principe enseigné aux étudiants en études de santé. Il conduit naturellement au « jamais la première fois sur le patient » qui guide l’utilisation de la simulation dans l’enseignement en santé.
Madame du Coudray est la plus connue de ses initiateurs, elle qui créa à la fin du XVIIIème siècle un mannequin de tissu et coton, reproduisant grandeur nature le bassin d’une femme en couches et permettant différentes manipulations, avec lequel elle format plus de 5.000 élèves à la maïeutique.
La simulation permet de tester, sans danger pour le patient, des compétences techniques comme des injections, prélèvements, chirurgies ou transplantations. C’est un outil irremplaçable dans l’exercice de compétences sociales, collectives ou pluridisciplinaires, telles qu’un diagnostic, une situation d’urgence ou une annonce douloureuse. De manière synthétique, il permet de mettre à l’épreuve connaissances, savoirs-faire et savoirs-être. L’essentiel réside dans la qualité des scénarios qui mettent l’apprenant en situation puis dans l’analyse a posteriori et en équipe du « jeu » réalisé.
En 2018, toujours dans l’idée de soutenir une formation de haut niveau et de familiariser les futurs professionnels aux outils numériques, la région Nouvelle-Aquitaine décide de soutenir un projet collectif et collaboratif de simulation numérique mise en œuvre dans les IFSI. La nouveauté du projet de serious game de Nouvelle-Aquitaine est double :
– ce projet vise à créer des serious games qui permettent d’entraîner, par la simulation en ligne, sur l’ensemble du programme de formation d’une infirmière, au travers des 10 compétences enseignées. Il ambitionne d’accompagner l’étudiante durant toutes ses études.
– ce programme est co-construit par la société Interaction Healthcare et les experts de la formation infirmière. Chacun y apporte sa pierre : les formateurs créent les scénarios et en assurent la qualité professionnelle, tandis que la société Interaction Healthcare dessine et met en scène et que les étudiants valident l’attractivité et la compréhension du jeux.
En 2019, le premier serious game, consacré à l’éducation thérapeutique, est mis en service auprès de tous les instituts. Conçu comme un POC (proof of concept) son utilisation est analysée finement afin d’orienter la construction des 9 suivants qui seront achevés et mis à disposition de tous les IFSI de la région en septembre 2020 :
La collection comprend donc 10 simulateurs numériques accessibles en ligne via la plateforme MedicActiV1, qui permettent de confronter les étudiants à un total de 35 situations professionnelles différentes. Certains de ces jeux sont adaptés à la réalité virtuelle, les IFSI étant équipés de casques permettant de rendre les étudiant toujours plus actifs. C’est ainsi qu’ils apprennent à pratiquer une transfusion sanguine, sans oublier de vérifier les différents groupes sanguins !
Utilisés en petits groupes, ils favorisent l’échange, la réflexion sur les situations cliniques et le retour sur expérience essentiels à l’apprentissage. Utilisés seuls ce sont des supports d’apprentissage ludiques. Cette innovation sera récompensée par l’enthousiasme des étudiants qui plébiscitent l’outil utilisé seul ou en groupe, par l’engouement des enseignants comme par de nombreux prix.
En conclusion, les outils numériques sont le quotidien et une partie de l’avenir des soins et les futurs professionnels de santé l’utilisent aujourd’hui dans leurs apprentissages. Mais ils ne sont pas du tout enseignés en tant que tel dans les formations sanitaires. C’est un constat inquiétant tant dans la sécurité des données que dans le construction et l’utilisation du futur environnement sanitaire français. Une formation de base devrait être inclue et validée dans tous les parcours.
François Jeanson porte un regard de médecin et de responsable politique sur un enjeu-clé pour réussir une transition numérique intelligente et bénéfique pour l’intérêt général : la capacité des médecins à en maîtriser les usages et décoder les enjeux. Un article concret et illustré, indispensable pour comprendre ces enjeux mais aussi pour prendre conscience que tout commence lors de la formation !
1 | https://www.medicactiv.com/fr/. (Retour au texte 1)