third
Novembre 2021

Numéro Sept

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Third : Soigner avec le numérique

Third | Novembre 2021

Utilisation secondaire des données de santé : quelles modalités de participation citoyenne ?

Stéphanie Combes, ingénieur et directrice du Health Data Hub (HDH).

 

Caroline Guillot, sociologue en charge de la direction citoyenne au Health Data Hub (HDH).

 

Chaque fois qu’un patient interagit avec le système de santé, des données personnelles sont produites. Ces données combinent des informations précises sur une personne et celles relatives à son état de santé. Au départ, cette donnée sert pour prendre en charge un patient de manière optimale. Néanmoins, cette donnée peut avoir une « seconde vie » ! Les analyser ensemble, c’est se donner les moyens de tirer des enseignements qui permettront de mieux soigner l’ensemble des patients ; des enseignements utiles à tous.

L’un des enjeux, si l’on s’attache à la question de la citoyenneté et de la démocratie en ce qui concerne l’exploitation secondaire des données de santé, est de permettre à la société civile de prendre une part active dans la compréhension et l’utilisation de ces données, mais quelles en seraient les conditions ? Cet article se propose d’explorer cette question.

 

Participer c’est d’abord être informé

 
Des « données personnelles de santé » sont produites à l’occasion de soins ou d’actes de prévention – réalisés avec des outils numériques, et ce pour une finalité précise – on parle d’un traitement de données. Le patient est informé et le tout est organisé par un responsable de traitement. Celui-ci peut être par exemple une clinique, un groupement d’hôpitaux, un fabricant de dispositif médical connecté ou bien encore la Sécurité sociale. Alors que le traitement originel avait pour finalité de prendre en charge un patient de manière optimale, une « seconde vie » peut être envisagée pour ces données. Il s’agit de rassembler les données et de les analyser afin de mieux soigner l’ensemble des patients qui un jour ont été concernés par le dit traitement originel. Plusieurs responsables de traitements ont ainsi ajouté une dimension épidémiologique à leurs données en les préparant pour ce type spécifique d’analyses : on parle d’entrepôts de données. L’obligation de transparence leur incombe et cela constitue la première étape effective de l’empowerment des personnes.

La transparence résulte notamment de l’application du RGPD qui en fait une obligation et en pose les lignes directrices dans ses articles 12, 13 et 14. Elle consiste en particulier à mettre à disposition sous une forme claire et aisément accessible des informations sur les projets de recherche et sur les droits des personnes à l’égard des données. S’agissant du Système National des Données de Santé (SNDS)1, le référencement est réalisé dans un répertoire qui est accessible au public2. À ce jour, les citoyens ont ainsi accès à différentes informations sur les projets qui utilisent leurs données de façon dé-identifiées, dont son cadre règlementaire de traitement de la donnée, ses objectifs et intérêts pour la santé publique, etc. Par ailleurs, l’enjeu n’est pas seulement de rendre compte d’une information, elle doit être également intelligible pour tous. C’est ainsi qu’on voit de plus en plus émerger des démarches de type Facile À Lire et À Comprendre (FALC)3.
 

Fournir un effort d’éducation et de sensibilisation

 
Être informé ne suffit pas pour se sentir concerné ! D’où l’importance en complément de l’obligation d’information, de produire et diffuser une « culture de la donnée de santé ». Émergent ainsi progressivement différentes actions allant dans ce sens, bien qu’encore timides… Un exemple intéressant d’initiative soutenue par des pouvoirs publics a été celui d’Understanding Patient Data Initiative. Initiée au départ par le Wellcome Trust, soutenue par les institutions britanniques, elle visait à créer une « conversation nationale » autour de l’utilisation des données de santé pour améliorer la clarté et la cohérence de la communication autour de l’utilisation des données (Ford et al. 20194). Une autre initiative, celle du Health Data Hub5, qui a mis en place toute une offre de formation à destination de publics différents sur les données du SNDS. Loin d’être limitée aux citoyens, cette acculturation s’adresse à l’ensemble des parties prenantes de l’écosystème des données de santé, ce que Mählman6 préconise d’ailleurs déjà en 2017.

Cet effort « d’éducation » en passe aussi par la publicisation des bénéfices des projets : en expliquant clairement en quoi ils répondent à un intérêt de santé publique, en publiant des résultats obtenus de ces projets (qui d’ailleurs, s’agissant du SNDS, est une condition obligatoire) ; et de le faire selon des outils différents comme des vidéos de sensibilisation (Ford et al. 20197). Outre l’intérêt de permettre aux personnes de lire une information pour laquelle elles se sentiraient concernées du fait de cette éducation à la donnée de santé, cela participerait très certainement à déconstruire l’image d’une appréhension, voire d’une réticence citoyenne au partage qui reste ancrée chez d’autres parties prenantes (Neves et al. 20198). 
 

Encourager l’utilisation des données de santé

 
L’utilisation des données de santé est aujourd’hui réservée à un petit nombre d’experts du fait du cloisonnement des données mais également de leur nature complexe. L’objectif est de démocratiser l’accès à la connaissance et de multiplier le nombre de contributeurs et d’utilisateurs de cette démarche. Il ne s’agit pas de rendre tous les citoyens, ou même tous les membres d’une association de patients, en capacité d’utiliser des données, car ce serait très complexe opérationnellement, et les citoyens eux-mêmes n’en manifestent pas tous l’attente et le besoin. Il serait plutôt intéressant d’installer des médiateurs indépendants, capables de répondre aux questions que les personnes se posent, de les orienter, et de leur permettre de faire valoir leurs droits vis-à-vis des données de santé.

Néanmoins, pour ceux qui souhaitent avoir une part plus active dans l’utilisation des données, une offre d’accompagnement peut constituer un bout de réponse. L’étude VivreCovid19 pilotée par France Assos Santé est un exemple intéressant qui consiste à donner les moyens aux associations de patients d’utiliser elles-mêmes les données de santé. Lancée en mai 2020, cette étude longitudinale (RIPH3, soumis au Comité de Protection des Personnes) compte déjà plus de 5400 participants. Chaque mois, jusqu’en mai 2022, les participants reçoivent une notification leur indiquant qu’ils peuvent répondre au questionnaire. Ce projet est le premier réalisé dans le cadre d’une collaboration inter-associations aussi vaste. En effet, chaque association membre de France Assos Santé qui souhaitait participer a été accompagnée pour produire des questions spécifiques. Cette étude est intéressante non pas seulement pour les enseignements qu’elle va permettre de livrer sur le plan scientifique, mais aussi parce qu’elle est associée à une démarche d’accompagnement : en l’occurrence, le Health Data Hub les aide à s’approprier les étapes et démarches d’un projet utilisant les données.

Plus largement, l’open source s’inscrit dans cette ambition de permettre aux citoyens de prendre une part active dans l’utilisation des données de santé. Comprendre les données – leur organisation, mais aussi leurs biais, potentiels et limites – représente un effort considérable pour chaque porteur de projet, c’est la raison pour laquelle mutualiser les connaissances est essentielle. C’est cela qui permet d’offrir l’opportunité à certains citoyens de développer des usages, de mettre en place des initiatives à l’instar de CovidTracker.
 

Écouter et intégrer les citoyens et les associations dans la gouvernance

 
Garantir la participation de la société civile passe aussi par un travail d’écoute pour la faire participer de façon adaptée, et pour produire une information ciblée. Or, force est de constater que les études sur les perceptions des citoyens liées aux données de santé dans le cadre de leur deuxième vie, et des attentes en termes d’implication des citoyens, sont peu nombreuses. L’Institut Montaigne proposait dans un récent rapport de « lancer des campagnes pédagogiques à destination des professionnels de santé et du grand public […] et poursuivre la mise en place, dans le cadre du Health Data Hub d’un observatoire des usages de la donnée de santé permettant notamment l’implication de membres de la société civile, représentants des patients et des professionnels de santé »9.


L’enjeu est aussi d’opérer une démarche de concertations. C’est par exemple ce qui a été mis en place pour débattre de la création (fictive) d’un nouveau registre connectant les données de santé du carnet électronique des citoyens britanniques à celles collectées par les hôpitaux, afin de les utiliser pour d’autres objectifs que le soin direct du patient (Tully et al., 201810). Les résultats de ces jurys citoyens ont notamment été présentés à des décideurs politiques locaux et nationaux pour visibiliser les attentes qui ont émergé du débat.

Aussi, la participation des citoyens peut aller d’une présence dans des organes consultatifs non décisionnaires (Hepgul et al. 201911) à la constitution de coopératives de données dont les citoyens sont les acteurs décisionnels centraux (Blassime et al. 201812), en passant par l’inclusion de représentants ou de citoyens lambda dans des comités de contrôle, à l’instar de l’International Cancer Genome Consortium (ICGC, créé en 2008), de la coopérative de données MIDATA et du projet de recherche européen sur les leucodystrophies LeukoTreat. Néanmoins, il ne s’agit pas de créer un « comité citoyen » au sein des structures qui régulent et organisent l’utilisation des données pour que cela fasse sens. Cette démarche nécessite de penser en amont les modalités de fonctionnement afin que les conditions soient réunies pour que puisse se développer une coopération réelle, une écoute suffisante et dont les acteurs pourraient tenir compte.

Pour conclure, la réflexion de la place des citoyens, et de fait des associations de patients dans l’usage secondaire des données de santé semble engagée et l’enjeu est désormais de passer des faits aux actes. Il s’agit d’encourager un changement de comportement des acteurs de santé au regard de l’information car elle est une condition nécessaire (même si pas suffisante) à la participation des citoyens, et que l’acquisition d’une « culture de la donnée de santé » ne se pose pas que pour les citoyens. Il s’agit d’accélérer la constitution d’un cadre de pensée qui donnerait du sens à l’idée même d’une exploitation secondaire des données de santé, notamment pour qu’une action éducative des données puisse avoir des effets concrets. Aussi la question de l’inscription des acteurs dans le système de gouvernance des données de santé, et les types d’acteurs collectifs capables de créer une autre représentation se pose. Il y a donc encore du travail à parcourir pour adresser les différents besoins des diverses figures du citoyens, d’un citoyen informé, souhaitant bénéficier des résultats des projets, un citoyen formé et en capacité d’utiliser les données, à un citoyen écouté, etc. ; et il semble que la démarche est lancée.
 

L’œil de la revue Third

 
Dans cet article synthétique et éclairant, Stéphanie Combes et Caroline Guillot permettent aux lecteurs de comprendre les grands enjeux liés à l’utilisation secondaire des données de santé des patients. Un sujet qui méritait une analyse sérieuse pour éviter les écueils de l’angélisme ou du catastrophisme : c’est chose faite !



1 | Données liées aux remboursements des actes et soins des bénéficiaires de l’ensemble des régimes d’assurance maladie obligatoire en France. (Retour au texte 1)
2 | https://www.health-data-hub.fr. (Retour au texte 2)
3 | Il s’agit d’une méthode reconnue qui vise à une meilleure compréhension de l’information par les personnes, et en particulier, avec des déficiences intellectuelles, et/ou des personnes maîtrisant mal le français. (Retour au texte 3)
4 | Ford E., Boyd A., Bowles J., Harvard A. et al., ‘Our data, our society, our health: a vision for inclusive and transparent health data science in the United Kingdom and beyond’, Learning Health Systems, 2019, https://doi.org/10.1002/lrh2.10191. (Retour au texte 4)
5 | Structure publique qui vise à garantir un accès aisé et unifié, transparent et sécurisé aux données de santé pour améliorer la qualité des soins et l’accompagnement des personnes. (Retour au texte 5)
6 | Mählmann L. et al., ‘Big Data for Public Health Policy-Making: Policy Empowerment’, Public Health Genomics 20(6), pp.312–320, 2017. http://doi.org/10.1159/000486587. (Retour au texte 6)
7 | Ford E., Boyd A., Bowles J., Harvard A. et al., ‘Our data, our society, our health: a vision for inclusive and transparent health data science in the United Kingdom and beyond’, Learning Health Systems, 2019, https://doi.org/10.1002/lrh2.10191. (Retour au texte 7)
8 | Neves A. L. et al., ‘Health Care Professionals’ Perspectives on the Secondary Use of Health Records to Improve Quality and Safety of Care in England: Qualitative Study’, Journal of Medical Internet Research 21(9), e14135, 2019,  https://doi.org/10.2196/14135. (Retour au texte 8)
9 | Angèle Malâtre Lansac, « Parcours Patients, parcours du combattant ? », Institut Montaigne, 2021. https://www.institutmontaigne.org/publications/parcours-patient-parcours-du-combattant. (Retour au texte 9)
10 | Tully M. P. et al., ‘Investigating the Extent to Which Patients Should Control Access to Patient Records for Research: A Deliberative Process Using Citizens’ Juries’, Journal of Medical Internet Research 20(3), 2018 https://doi.org/10.2196/jmir.7763. (Retour au texte 10)
11 | Hepgul N., Sleeman K., Firth A., Johnston A. et al., ‘In response to Ballantyne and Shaefer’s ‘Consent and the ethical duty to participate in health data research’, Journal of Medical Ethics 45, pp. 351-352, 2019, http://dx.doi.org/10.1136/medethics-2018-105271. (Retour au texte 11)
12 | Blassime A., Vayena E., Hafen E., ‘Democratizing Health Research through Data Cooperatives’, Philosophy & Technology 31, pp. 473-479, 2018, https://doi.org/10.1007/s13347-018-0320-8. (Retour au texte 12)

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