Best of - Numéro dix
Retrouvez le numéro dix de
Third : Un monde nouveau
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Third : Un monde nouveau
Guillaume Pitron (GP) : Il y a cinq ans, le sujet de la dépendance des métaux stratégiques était peu connu et sous-estimé tant par le grand public que par les responsables politiques. Une sorte de « négationnisme des métaux » conduisait à minimiser la gravité de l’épuisement de certains matériaux, perçus comme facilement accessibles, voire systématiquement remplaçables.
La nécessité pour les États d’assurer leur souveraineté minérale grâce à une production locale s’est progressivement imposée comme une condition nécessaire à la souveraineté technologique. Cette prise de conscience est intervenue pour des raisons distinctes à travers le monde. Aux États-Unis, la bataille commerciale instaurée par l’administration Trump contre la Chine a cherché à diminuer la dépendance américaine à la technologie et aux ressources chinoises. Ainsi, la production de certaines matières premières est actuellement progressivement relocalisée, notamment celles des métaux essentiels aux technologies de défense. En Europe, le passage à une économie électrique dans le cadre de la transition énergétique a mis en évidence la faible autonomie d’approvisionnement en matières premières critiques, notamment en ce qui concerne la production des batteries.
Afin de relever ces défis, la loi sur les matières premières critiques (CRMA)[1] proposée par la Commission européenne en mars 2023 cherche à assurer l’accès de l’Union Européenne aux matières premières essentielles. Le texte vise ainsi à atteindre certains critères de référence d’ici à 2030, tels que l’augmentation à au moins 10% de la capacité d’extraction des matières premières stratégiques que l’Union Européenne consomme.
Du côté du grand public, l’enjeux d’approvisionnement des métaux critiques a été vulgarisé grâce à différents débats portant sur l’évaluation des conséquences écologiques de projets d’exploitation minière, tels que la relocalisation de la production de lithium dans les mines d’Allier (une seule mine : celle d’Échassières) ou encore les différents projets d’exploitation minière des fonds marins. Cette prise de conscience demeure cependant insuffisante. En effet, comme indique l’étude réalisée par l’Agence internationale de l’énergie en 2021[2], la consommation mondiale de lithium sera multipliée par 42 d’ici à 2040.
GP : Il est certain que les consommateurs sont plus conscients du lien entre l’exploitation minière et leurs appareils technologiques. Les discussions à ce sujet sont de manière générale plus présentes, comme en témoigne le débat public organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) au sujet du projet d’exploitation des mines de lithium dans l’Allier, lequel se tiendra du 11 mars au 7 juillet 2024[3].
Concernant plus particulièrement le projet de relocalisation de la production de lithium, on constate un accueil relativement favorable du public, justifié par l’idée qu’il vaut mieux avoir un responsable « chez nous » qu’un responsable ailleurs. Cette tendance ne devrait néanmoins pas pouvoir être généralisée à l’ensemble du sujet. En effet, ce projet a la particularité d’intervenir sous la carrière de kaolins (c’est une ressource ! et sous cette carrière de kaolin se trouve du lithium) de Beauvoir espace déjà dédié à l’exploitation minière. Il n’est pas certain que l’opinion française serait favorable à l’idée d’exploiter de nouveaux gisements, notamment en raison de la déforestation que ce type de projet pourrait entraîner.
GP : Ce livre trouve son origine dans le constat tiré d’un rapport conjoint entre l’Université de Grenoble Alpes et l’alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) : au cours des 30 prochaines années, nous devrons extraire autant de matériaux que depuis l’antiquité. Ce constat peut sembler surprenant, compte tenu certains discours vantant un monde de plus en plus dématérialisé.
La traçabilité des ressources impliquées dans chaque « like » permet de mettre en lumière les empreintes physiques inhérentes à la dématérialisation, faisant ressortir ainsi la contradiction des politiques actuelles. D’un côté, des préoccupations écologiques imposent une politique de sobriété, illustrée par l’adoption de mesures telles que la loi pour réduire l’empreinte environnementale du numérique de 2021[4]. D’un autre côté, l’explosion des usages technologiques, de l’intelligence artificielle aux cryptomonnaies, démontre que l’accélération de l’emploi du numérique est inévitable. Or, il existe un lien étroit entre l’amélioration des moyens technologiques et la complexification des besoins matériels nécessaires pour les assurer.
Dans ce paradoxe où l’innovation rend inéluctable l’accélération technologique, dont les effets les préoccupations environnementales commandent de contenir, l’dentification d’une ligne de crête est fondamentale.
C’est précisément pour répondre à ces nouveaux défis économiques et réglementaires que j’ai participé à la création du cabinet de conseil Psyché 16 : nous sommes convaincus qu’il faut accompagner les entreprises dans le développement d’une stratégie pour les métaux aussi efficace que respectueuse des enjeux environnementaux et sociétaux.
GP : Le renouveau du débat autour de la transition énergétique est impératif. Il est nécessaire de réévaluer le rapport coûts-bénéfices entre le coût énergétique des nouvelles technologies et le gain politique, social et économique qu’elles permettent.
Certes, la transition énergétique est indispensable et préférable au monde des hydrocarbures. Toutefois, au lieu de centrer le débat sur la responsabilité individuelle du consommateur, une réflexion citoyenne sur la manière de consommer les technologies devrait être promue. Reprenons l’exemple de la mine dans l’Allier : une analyse coûts-bénéfices de ce projet conduirait à se demander quelle sera la destination du lithium qui y sera extrait et dans quelle mesure il répondra aux besoins des entreprises et du public français, tout en s’assurant qu’il soit prioritairement utilisé pour la mobilité collective. Il est regrettable qu’une réflexion plus profonde sur la manière de consommer les technologies électriques n’ait pas accompagné la transition d’une ressource à une autre.
En parallèle, les tensions géopolitiques mondiales s’intensifient, soulevant de nouvelles problématiques. Par exemple, le soutien à Kiev dans le contexte de la guerre en Ukraine mène à déterminer quels métaux serviront comme source pour la fabrication des armes ainsi que les fonds nécessaires à cet effet. Pareillement, l’avènement d’une intelligence artificielle générative française, symbolisée par la société Mistral AI, permet de préserver la souveraineté de la culture française face aux géants technologiques américains, mais nécessite d’importantes ressources matérielles, financières et énergétiques. Ces durcissements des rapports de force appellent à la consommation de ressources et il est donc nécessaire d’identifier un point d’équilibre entre les différents intérêts en présence.
La réduction de 4,8% des émissions de CO2 en France en 2023 par rapport à 2022[5] démontre qu’il est possible de découpler les émissions de gaz à effet de serre et la croissance économique. Cependant, cette baisse pourrait être contrebalancée par une hausse de la consommation d’autres ressources. Il est ainsi possible que nous atteignions les limites du concept occidental du développement durable, qui postule qu’il est possible de s’enrichir en ayant des pratiques plus respectueuses de l’environnement afin d’assurer le bien-être social.
Face à ces nombreux et nouveaux défis, il me semble qu’on peut mobiliser la célèbre formule de Tancrède, dans le Guépard de Visconti, selon laquelle « il faut que tout change pour que rien ne change ».
1. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52023PC0160. (Retour au texte 1)
2. https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-transitions/executive-summary. (Retour au texte 2)
3. https://www.debatpublic.fr/mine-de-lithium-allier. (Retour au texte 3)
4. Loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. (Retour au texte 4)
5. https://www.ecologie.gouv.fr/france-reduit-encore-emissions-co2-en-2023.(Retour au texte 5)